D'un caractère taciturne et peu expressif, Jaelan n'est pas ce que l'on pourait appeler un grand orateur. Il semble pourtant cacher un certain charisme car beaucoup de ceux qui ont pu l'approcher ont fini par le suivre. Et peut-être que les choses peuvent se résumer ainsi : il ne faut pas toujours se fier à la première impression que l'on a de lui. Car en effet, au premier abord, ce tùk à l'air impassible peut paraître austère, dur et impitoyable, ce qui en réalité n'est probablement que l'image qu'il se donne en tant que han.

Ceux qui le connaissent dépeignent un tableau différent du chef de la tribu des loups-de-glace : Il serait plus sensible qu'il n'en a l'air, notamment avec sa famille. Il serait en fait emphatique, sage et utopiste. Dur à croire d'un guerrier tùk dont l'une des spécialités consiste en la traque, la chasse et le meurtre. Certaines des personnes les plus proches de lui disent qu'il a une manière unique de voir le monde, à tel point qu'il est difficile de véritablement le comprendre ou de deviner ses pensées. Et cela ne l'empêche pas, pourtant, d'être considéré comme un bon chef.

Respecté non pas à cause de son rang ou de sa lignée mais par ce qu'il a accompli, sa tribu a appris avec le temps qu'il n'est pas nécessaire de comprendre ses objectifs pour suivre ses décisions. Loin d'être un génie il a su s'entourer de personnes de confiance et gagner la leur, n'hésitant pas à mettre sa vie en jeu pour protéger les siens. Bon stratège, il n'est pas non plus aussi impulsif qu'il puisse paraître, et cela nombre de ses adversaires l'ont compris trop tard.

Pour résumer l'on peut dire que c'est un chasseur né : furtif, malin et insondable.

Ne dépassant pas un mètre soixante et onze, Jaelan fait pourtant partie des plus grands de son peuple. Sa musculature souple et sèche laisse deviner un entraînement physique rigoureux, et les quelques cicatrices qui recouvrent son corps montrent une tendance à participer à des combats. Sa peau blanche à hâlée est typique de sa tribu, tout comme le sont les traits de son visage.

Un visage long encadré par des raides cheveux noirs de jais, et des yeux fins tirés d'une origine tùk occidentale se mêlent à un nez droit et menton droit plus  proches des peuples du sud-est. Son regard perçant est approfondi par des yeux d'un brun sombre, et son sourire impassible lui donne un air fermé.

Son style vestimentaire est quand à lui fidèle à sa tribu : des habits pratiques et légers aux couleurs sobres - blanc en hivers et des tons de bruns les saisons sans neige - recouverts d'un manteau de peaux ou d'une cape de fourrure. Son armure quant à elle est le plus souvent de cuir, plus discrète et plus légère que l'armure de métal qui n'est portée qu'en cas de guerre ou dans certaines cérémonies.

Le "Héron chantant" est une modeste auberge de Nanua. Située dans la rue menant du port à la place principale, elle accueille les voyageurs modestes en escale dans la cité, et il n'est pas rare d'y croiser des étrangers. C'est le cas ce jour-là, alors qu'un nhöd à l'habit discret discute avec un homme à la barbe grisâtre et aux airs occidentaux.
"Qui est-il ?" Demande l'encapuchonné.
"Quelqu'un de sûr. C'est pas n'importe qui, il est important... Enfin, c'est ce qu'on dit..."

Quelque part dans les plaines de Yosei, un camp a été monté. La vie s'y écoule le plus ordinairement du monde, le clan voyageant ici et là en fonction des besoins et du gibier. Soudain un cri retenti, venant de l'une des habitations éphémères. Puis un autre cri retentis, plus aigu, plus vif, accompagné de pleurs. Dans la tente une femme d'un âge avancé enroule un nouveau né dans un linge propre avant de le poser sur le ventre de sa mère, essoufflée mais souriante.

Sa tâche achevée, la vieille femme laisse alors la mère et l'enfant aux soins des deux autres femmes présentes dans la tente et retrouve l'éblouissante lumière extérieure. Elle s'arrête un moment, la main protégeant ses yeux jusqu'à retrouver une vue convenable. Devant elle se dresse un homme au visage dur et au regard interrogateur.
"C'est un vigoureux petit garçon." Déclare la vieille femme. "Te voilà père, Han Kaluam."
Un imperceptible sourire se marque aux coins des lèvres de l'intéressé tandis que son regard s'adoucit.

"Et dès que je t'ai vu, j'ai su que ton destin ne serait pas ordinaire."
"Pourquoi me raconter cette histoire aujourd'hui ?"
"Cette histoire était celle de ta naissance en tant que fils de han, jeune loup. Mais ce jour d'hui est celui de ta naissance en tant que han."
La mine fière du guerrier s'enhardie tandis qu'il inspire le courage de ses ancêtres. L'ancienne qui lui fait face trempe ses doits dans une mixture bleutée et s'en sert pour dessiner divers symboles sur son torse et son visage. Puis elle se tourne et fais face à l'auditoire qui semble retenir son souffle. D'une vois haute et d'un ton cérémonial, elle commence alors.
"Le candidat a passé le test et a prouvé sa bravoure devant la tribu Lupsaka. A présent le louveteau qu'il était fait place au loup adulte, il protègera sa meute et sa meute le défendra. Que tout le monde hurle de joie, et félicite le han Jaelan !"
Le jeune homme se présente fièrement devant les siens et la tribu toute entière hurle alors d'une seule voix comme hurlent les loups à la pleine lune. Résonnent alors les tambours sur un rythme entraînant, et les chants des grandes cérémonies débutent. Assis sur son siège de peaux, le han du clan observe avec fierté son fils qui deviendra un jour son successeur.

"En tout cas, c'est un Lupsaka." Ajoute le vieille homme après une lampée de sa mousseuse boisson.
"Un lu-quoi ? J'suis sensé savoir c'est quoi ?" Interroge l'homme mystérieux, passablement nerveux.
"Vous connaissez pas ?" S'étonne le vieil homme. "C'est que vous avez jamais eu affaire à avec eux... La tribu Lupsaka, du clan Shù. C'est une des tribus les plus connues à Yosei..."

"Par ici !"
L'homme vire brusquement à droite, suivi de près par ses compagnons. Leur course effrénée à travers la forêt les a mené à une rivière, et maintenant ils la longent à la recherche d'un endroit où traverser. Ils s'essoufflent mais ne cessent pas de courir, malgré les branches qui les griffent, malgré les plantes qui les fouettent. Leurs poursuivants les rattrapent dangereusement. Ils courent et bientôt ils atteignent une clairière. Tendant l'oreille, l'un d'entre eux perçois un grognement féroce.

"Plus vite !"
Les fuyards aux vêtements rouges fichés d'un anneau d'or redoublent d'efforts pour traverser la clairière, motivés par la peur. Pas assez vite. Les sillons se tracent dans l'herbe haute, les contournant des deux côtés. Les fuyards forcent l'allure mais il est trop tard : avant qu'ils n'atteignent l'autre côté, deux loups bondissent devant eux. Il s'arrêtent brusquement, épées tirées au clair. Ils cherchent frénétiquement une échappatoire mais d'autres loups sont apparus ; Ils sont encerclés.

"Ils nous aurons pas les gars, on va les trancher !"
Acculés, les proies se positionnent en cercle, dos à dos, pour faire face aux loups menaçants. Bien certains tentent de les effrayer, plantant leur lame dans le vide, trop loin pour pouvoir les toucher. Mais la meute ne bronche pas, elle grogne, elle se rapproche. Puis l'un des hommes attaque, chargeant l'un des loups à sa portée. Il rate son coup, l'animal est trop agile. Il retente sa chance et hurle : une douleur soudaine lui transperce la jambe. Il regarde, incrédule, la flèche qui vient de s'y planter. Il tourne la tête et constate avec stupeur le corps inerte de l'un de ses compagnons, une flèche planté dans le bras et une autre dans le dos. Il hurle à nouveau, la douleur lancinante d'une autre flèche lui prend au bras, lui faisant lâcher don épée. Il tourne la tête, la conscience au bord des ténèbres.
"Maudits tùks !"
L'homme sombre dans l'inconscience, sa dernière vision n'étant autre que celle d'un guerrier tùk s'approchant pour le capturer.

Quand les hommes à l'anneau d'or sur fond pourpre se réveillent, ils sont enchaînés dans une carriole. L'homme qui semblait être le meneur reprend tout juste conscience quand il comprend sa situation : ils sont prisonniers, leurs biens les ont été retirés, et on ne leur a laissé que leurs vêtements. Il grimace de douleur, grommelle et se tortille. Il y a une ouverture dans le tissu servant de porte par laquelle il perçoit l'extérieur. Il y distingue un home de dos discutant avec un autre à la barbe bien fournie. Il tend l'oreille pour les entendre et en décèle les brides d'une conversation.
"... réputation n'est pas erronée, on a bien fait de faire appel à vous ... vivants, comme convenu c'est dix de plus ... Lupsaka, c'est ça ? Je parlerais de vous à mon jarl."

"Si tu dis vrai, vieillard, tu mérites ta récompense."
"Pour sûr ! Héhéhé. Z'en aurez pour votre compte... Ah ! C'est lui, là !"
Un homme vient d'entrer dans la salle, vêtu d'une cape usée en peau de bêtes. Son regard perçant parcoure rapidement la salle puis il rejoint d'une traite le vieillard et l'encapuchonné.
"Alors c'est vous, Jaelan ?"
"Et vous, vous êtes le client ?"
"Appelez-moi Tormundt. L'affaire qui m'amène est assez délicate... Si notre ami commun dit vrai, vous avez les compétences qu'il me faut."
"Mes compétences ?"

Deux enfant se font face, l'arme levé. L'un tend une lance tandis que l'autre tient une lame courbe dans une main et un poignard dans l'autre. A leur essoufflement, aux salissures et à leurs vêtements abîmés l'on devine qu'ils n'en sont pas à leur premier affrontement.
"T'es sûr que tu vas pas tomber dans les pommes ? T'as l'air essoufflé !"
"Tu veux une pause peut-être ? Sans Kuoko pour t'aider je suis sûr de gagner !"
"Tss ! Allez attaque trouillard !"
"Approche froussard !"
Et d'un seul élan les deux enfants foncent l'un vers l'autre.

Quelques coups et quelques bleus plus tard, les deux apprentis guerriers se baignent dans l'eau claire d'un lac.
"Mpf ! Tu m'as pas raté..." Se renfrogne celui qui tenait la lance en se massant le flanc.
"T'y a pas été de main morte non plus..." Rétorque le bretteur.
"Mouai... De toute façon ça fait dix à douze, c'est toujours moi qui mène."
"Dix à onze, la dernière fois ça compte pas !"
"Oh si ça compte ! Je ne dis rien quand ton loup vient s'en mêler, alors pourquoi ça compterait pas la dernière fois ?"
"Nous on élève des loups pour se battre avec nous, c'est normal qu'ils se battent à nos côtés. Je t'ai laissé gagner pour pas que t'aies honte quand ta soeur regardait, c'est pas la même chose..."
"C'est pas plutôt parce qu'elle t'a souri ?" S'esclaffe l'enfant.
"Qu'est-ce que tu insi-"
"Oren ? Jaelan ?" Crie une voix au loin.
"Mon père nous cherche ! Vite il n'faut pas qu'il nous voie ici !"

"Parlez-moi du contrat."
"Le contrat, oui. Avez-vous déjà entendu parler des Enfants d'Ethinn ?"
"Les enfants d'Ethinn ?"
A ces mots, une lueur sombre traverse le regard du mercenaire. La conversation se poursuit tout de même entre les trois hommes jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé, puis ils se séparent.


"Que les ancêtres vous protègent." Dit-elle, cachant son inquiétude.
"Nous reviendrons sitôt notre cible capturée." Rassure-t-il.
Et les époux s'enlacent, conscients que plusieurs semaines pourraient s'écouler avant qu'ils ne se retrouvent. Peut-être même des mois. Plus loin, la troupe de cavaliers est déjà presque prête.
"T'en fais pas petite soeur, je serais là pour veiller sur cet idiot." Déclare l'homme qui attendait à leur côté.
La femme lui lance un regard mêlant reconnaissance et suspicion.
"C'est justement parce que tu l'accompagne que je m'inquiète ! N'affrontez pas les ours que vous ne pouvez vaincre !"
"Mais non, tu sais bien que c'est pas notre genre." Rétorque-t-il avec ironie tout en s'éloignant.
"Prends soin des enfants, je vous ramènerai un trophée si je croise une bonne proie."
"Ne t'en fais pas pour nous. Reviens vite, mon han."
Les deux époux pressent leurs nez l'un contre l'autre et l'homme rejoint le groupe de cavaliers, suivi de près par un grand loup à la fourrure blanche.

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